jeudi 17 janvier 2013

CROATIA : ¨Peau de Fille au Sortir de Mer (Journal de Croatie)

 
 
 
                                                        Au Kairos.
 
 
 
 
 
Tel est celui qui vient de Croatie peut-être,
afin de voir notre Véronique, et qui par faim ancienne
ne s'en rassasie pas, mais dit dans sa pensée
tant qu'on la montre : mon Seigneur Jésus-Christ, dieu vrai, votre visage était donc ainsi ?
DANTE. La Divine Comédie. Le Paradis.
 
 
 
LES EAUX
 
 
Bez Broja
Encore une de leurs rues
sans numéros
Une venelle chantournée sableuse qui
                                                               descend entre des murets mafflus étoffés
du rose
de fleurs grasses comme des seins
Pas de téléphone
on traite sur place
                                            zimmers sobe rooms chambrs (sic)
Une jolie fillette brune borgne
m'ouvre
Gazouillements excités flûtant
entre des dents du
                               bonheur
Sa mère en jean et vieille chemise teinte de l'UNPROFOR
Elles me précédent
La chambre chaulée petite
engorgée de l'odeur de figues mûres
Lit de bey
table de bois frotté refrotté et frotteras-tu
fenêtre dont la moitié des
                      carreaux ont
                                                        laissé place à des journaux jaunis
scotchés
La femme en écarte les battants
Au-delà c'est la mer
belle sans phrases
OK c'est OK pas cher da
on peut demander le manger
je sais je
                     comprends
c'est ça que je suis venu chercher
à l'île perdue
La drôlesse qui brasse ses joies de jeune vie
à la périphérie de sa vision
la chambre à relent de fruit
la table
                               la fenêtre avec son journal
 
la mer
 
 
*
 
 
Un photographe de mag se
la joue
catogan pourpre
                  froc de surf
geule martelée de haïduk
ou d'un de ces pirates uskoci
qui joyeusement se moulèrent
les côtes d'avec les matelots
vénitiens et turcs
Nikonos 5 pour ces dames
qui semble-t-il doivent poser
sous l'onde
Suprèmes maillots Speedo tendus sur les frifris
peau de fille au sortir de mer
Les sirènes rient de rires vides
boivent de l'eau glacée
Sous un dais de soie blanche
frappant au vent
patientent les fiancés maris frères
aussi droits et tendus que des duègnes
 
 
*
 
Il y a le verre
sur la table
et l'eau dans le verre
et ma bouche
à fleur d'eau
et la buée du verre
et sa fraîcheur à mes doigts
et la forme du verre
et l'instant de la forme de l'eau
et l'arrondi de la forme de ma bouche
et la perfection de la seconde du verre de la bouche et de l'eau
 
 
*
 
Mouflets transistors maxi-cocas calés
dans le sable bouillon jaune gobelets
polyéthylène calamars na zaru paninis
à la con glaces graisses fumées bleues
lourdes dérivantes des gargotes de
plage décorées du damier national
éphèbe en jet relents mauresques des
solaires Schwarzkopf rotoplos qui
planturent bedaines recuites oeil étréci
du chef de famille sur l'aînée draguée
à la douce par deux jeunes libidineux
autrichiens blonds comme Frederic de
Hohenstaufen aucune chance pour le
francuz que je suis
 
 
*
 
Adriatique
ce qui jaillit (écume)
Ce qui faillit (vaisseau)
Ce qui languit (promise)
Ce qui construit (génération)
 
Ce qui détruit (homme)
Ce qui saisit (abîme)
Ce qui nourrit (filet)
Ce qui conduit (boussole)
 
Porte les murmures (de nuit)
Compte les brisures (de vie)
Adriatique
                                                       un jeu, à la proue du Jadra.
 
 
*
 
          Région du Lonjskopolje
 

 
Topolovac
Preloscica
 
Eau de feuille verte d'or prairies
Ombre d'onde en nuages sur pluie de lac
 
Gusce
Kratecko
 
Crue dessous d'oiseaux vol de marais
De tremble rosée de bois
 
Bobovac
Lonja
 
Pour champs de rouille aux bruns chevaux inondés de vigne
Bétail auréolé
 
Krapje
Drenov Bok
 
Jardins tordus roses d'auvents
Fermes bleues en fenils de jeunes récoltes
 
Tout ce vert
 
 
*
 
D'hast
 
Eburnéennes
 
Vous Kornati
                                                                dans l'archipel, île de Kurba, 7.2001
 
 
*
 
CISTERNA
 
VASCULA
 
BACCINUS
 
FONTANA
 
ALVEUS
 
 
AQUAEMANILE
 
 
 
 
LES LUTTES
 
 
Une bière Karlovacko
en terrasse
Bouteille brune solide puissamment galbée
comme les baigneuses d'ici
emperlée et son verre ébréché
Une autre aussi bien
on a le temps
S'essayer à passer commande oh la
pas si simple
Appliqué
pivo molim vas zivjeli
Le serveur à tête d'appariteur musclé de harem
sourit
Se griser avec application sans hâte
à l'heure du premier café
avant de s'en aller traînailler au marché
soupeser
la lippe grave les petites bories de pierre pour touristes
En fond de place l'église dorée comme un pain
En 1660 du clocher
les villageois brisèrent
l'assaut turc avec l'arme secrète locale
huile d'olive bouillante
Les janissaires ont tenu la leçon pour dite
Ils ont appelé Pirovac
le village maudit


*


Relire
Le Pont sur la Drina
de Andric
et Vie et Mort de la Yougoslavie de
Paul Garde s'étiolant dans la Samsonite

Mais aussi Milo Gavran

Chez le disquaire
un CD
d'Oliver l'enfant de Split
inusable de la grand'mère à la petiote
entre Sinatra et Mike Brant et du rap
croate grand jus
lyrique concerné
avec des franchissements de passe
émouvants accordéon violons de foire
Ca parle chômdu identités perdues
retrouvées filles aux yeux de faucon
frères aînés on ne sait où coeur
trop grand de la jeunesse le vieux
pays

dobro dobro


*


Très peu pour moi
Je ne veux pas de tes martyres
Des clous forés aux biceps de ton Histoire
De tes Ordres de Jeunesse les shorts et les foulards
Pas de tes dates calibrées et de tes commémorations

Je veux tes pleines assiettées de boulettes brûlantes
Je veux un verre de posip de Lumbarda
Je veux tes violons, le son de la mih et tes soirs
Je veux les langueurs de la Madère yougoslave

Pas de tes sentes détournées au sceau du talion
Pas de tes marches lentes de tes banquets revanchards
De tes vieilles plaies qu'à plaisir tu débrides

Je veux Notre-Dame-de-Sinj et ses miracles
Je veux le café France Style tes arcades tes portes et tes couvents
Je veux le fond de mer vu des arrières du bus
Une oeuvre de Mestrovic Saint-Donat Saint-Petar et j'exige du poulpe

Pas de tes veufs affichés au premier rang
De tes aires du souvenir ne de tes heures d'exemple
Pas de tes petits soins ménagers à qui sait te plaire

Je veux ta bora et ta neige et les aigles de Plakenica
L'oeil bête du mouflon et tes rites de grande nature
Je veux tes îles crues tes pierres océanides
Et saluer tes absents à pleines coupes de rire

Je veux être toi
Je veux être moi
Quand tes filles s'oublient
Et chavirent en un français charmant

*


TOMISLAV 910-928

PETAR KRESIMIR IV 1058-1075

DMITAR ZVONIMIR 1075-1089

Princes premiers
Légistes

Hommes
avec des jours d'hommes

un jour
ils furent


*

Les chants

                                  matis

Cloître

                                      recluses

Roi

                                                la part de Dieu

Chiens

                                           en chapelle


*

En vain ! - Mes paroles
ne peuvent pénétrer dans
les ténèbres de Vukovar.
                                               Vlado GOTOVAC (1930-2000)


     En août 1991 au dessus de Vukovar le ciel était bleu avec de fines broderies cassis et même de franches couleurs de pêche et de tiramisu
    Des cris d'enfants ont joué à la marelle et l'un des cris s'est tu parcequ'il avait triché
    Du blé et une rose sont tombés du seizième étage du building des cieux
    Un homme a quitté son épouse il courait vite au long des barbelés comme une vérité tordue
    Dans une cave un loustic a débouché le vin une goutte s'en est allée sur une saloperie à fragmentation qui ne l'a pas remarqué
     L'primo qu'je choppe j'lui coupe les joyeuses pour m'en faire une paire de solaires criait un pilier de bar en brandissant une Bible émoussée comme un vieux rasoir
     Une balle a cueilli un ange au creux des reins l'angea crié putain mais il a tenu à poser un instant pour un photographe d'origine hongroise de la CNN
     Radovan mon bébé oh mon bébé Radovan mon petit petit petit oh oh parle-lui toi parle chantonnait quelque femme
     Un groupe de pieux a entonné des cantiques mais pas un ne se souvenait des paroles et ils ont vite laissé tomber
     Des linges de fer ont fondu sur un prêtre et une petite fille la gamine a ri pater c'est comme un trousseau à mes grandes années
     Le 18 novembre Dieu a enfin reçu le manuel d'utilisation du lance-roquettes RBR  M 80 de 64 mm
     Le 20 novembre à l'hôpital toutes les infirmières de garde qui composaient des poèmes ont menti
 
                                                                                                                                              Vukovar, 7.2001
                                                                                                                                          écriture automatique
                                                                                                                                  dans les salles du Dvorac Eltz.
 
    
*
 
 

J'aime les églises
comme le reposoir d'un ami

Ces refuges de paix
que le bon Dieu a permis

J'aime savoir leurs portes closes
aux souffles de hantise

Que leurs voûtes hautes
le disent et le redisent

J'aime les églises
comme on aime une femme

Pour y porter sa foi
et y gager son âme


LES PIERRES


Tu fais
à la lumière pierre blonde
un sort

Tu offres
à la pluie pierre blanche
ta pose

Tu consens
au vent pierre brune
l'osmose

Tu guignes
au souvenir pierre noire
la mort

                                                     Vaganski vrh, massif du Velebit,
                                            sur une enveloppe froissée.


*

Place Zoranica
les cinq puits
en deuil de leurs eaux
Citerne scellée obscure
Moellons vernis roulés creusés
de paumes
nostalgiques humides encore
des
fantômes et souvenirs de fantômes
de gorges altérées


*

Ruelles flamboyantes
où embraser les temps
qui ne sont pas venus


*


L'ennui découpe
les mélancolies étrangères
de la garnison

Des remparts monte
l'oeuvre forte des fricots

Promenade vespérale
des filles du vâlî
belles aux jambes
de colonnes

dans un jadis de saisons


*

Vela placa
l'horloge à vingt-quatre heures de la tour Straza
pardi ma chère
de nos minuits
nous met la tête en bas
                                          Krk.


*


D'ailleurs il pleut sur Nin

sur Saint-Nicolas
guerrière méfiante

et Sainte-Croix
blanche comme
la main d'une vierge

D'ailleurs il pleut sur Nin
pleine de clartés nitouches

et pour tout dire
l'air sent le grain
et le credo éventés


*

Brûlez façades
                                  lourdes des fumets du midi
Trichez pavés
                      sous le pied étourdi
 Songez statues
                               du fond de vos mémoires
                     Quand vous étiez des saints
                          et qu'il fallait y croire

Rêvez gisants
                                au temps de vos étreintes
Une loi à la main
                        une couronne ceinte


*


Fille revenante
Garde-toi de trop aimer
Va à qui tu hantes
Comme l'oiseau au rocher



LES VISAGES


Amis

Daniel
Roger Vadim à trente berges
velu comme un ours

Sandra
ronde très myope
rire à cent mille kuna

Ante
d'une réserve de pope
(a vécu en Hongrie
l'ai revu après loueur d'une
boîte de jets)

Drago
Ivo
Vinko
merci pour le vin

Naja
Mirjana
pas de réponses écrues
à vos questions de cendre

Et des inconnus
des entreaperçus                     tenaces

                                                              Regards comme
                                                   des lianes

Sourires
Moues
Muscs
Haleines
Gestes

Pain et sel au petit matin
offerts par des turbulents
retour de la discothèque Turanj


Ninia et Frane
devant la gare routière
vos poteries bleu Nattier

Kairos
toi les ailes au dos
balance au poing
boucles de rockstar
divinité du bon moment de l'instant juste
de la décision de l'action
tu m'as tant accompagné


La fête secrète
dans la crique
Grand Meaulnes
adriate
Trois visages
comme d'anges flavesces
montant la pure-note
à l'heure du trop-bu

Le tageur de la tour Mul
Le prophète de la promenade Strossmayer
La terrasse du Luxor

Zadar                                Le lion de Sibenik
                    mascaron de méduse          qui se marre                                

                              Toujours là
                                                       quand nous n'y serons plus


*


Course     f

olle

d'enfa

nts

p                                 e
tits    ya

chts

sur

              l
e                   pavé

              bleu               
                                                    Mlini, 9.1990
 
 
 *


Pêcheurs disputant
aux mains de flibuste
dignes de couteaux
Rochers hâbleurs
menaçant l'ami
d'une barbèle d'hameçon
Soupèsent leur virilité
à grande joie mutuelle
se foutent le pied au cul
puis glissent au vent de brune
se porter allégeance
avant la soupe du soir

                                         Rovinj, sur le port.



*


Who's who : Hélène mère de Constantin Paul Théroux
Marco Polo Jack Lang Strabon Louis Ier d'Anjou Ulysse
Joseph Conrad Napoléon Caroline de Monaco Dante
Rolling Stones Georges-Bernard Shaw Gustav Klimt
Medée les Lipizans le preux Roland les tuiles de Toulouse
t'Serstevens Pompée Dalaï Lama Pline le Jeune François
Mitterand Richard Coeur de Lion Jackie Kennedy César
maréchal Marmont Charlemagne Bernard Kouchner
Casanova Mongols et Tartares Jean-Paul II Ivana Trump
Valéry Giscard d'Estaing la Vierge, Jason, Gabriele
d'Annunzio Saint-Paul Ernst Jünger Georges le Dalmate
Richard Burton et Elisabeth Taylor Hérodote le roi et la
reine des Belges Dioclétien Steven Spielberg Pétrone
Rebecca West Alphonse II Sophia Loren Emile Isambert
Marie-Thérèse d'Autriche Charles Nodier Nicolas le
Florentin François-Joseph Cyrille et Méthode les
Ostrogoths Mussolini les Magyars Léonid Brejnev le
paganisme les Normands le Titien


*

Baka
La vieille
Tu ris
Suspecte de trop d'années


Ton pied gonflé
Bat la cadence
En toute impunité


Baka
La vieille
Tu vis
Vide écorcée


Mais va le pied
Dans l'ombre de la danse
Au clair du passé

                                     10.90


                                                                                      Leleh Gialloantico.

 
 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire