lundi 21 janvier 2013

OLISSIPO, CHRONIQUES LISBOETES : le Bonnet Jaune & la Chaloupe Matutine - les Africains du Fronteira

 
     Le Palacio Fronteira de Lisbonne, c'est le fourmillement. Et donc, le détail. C'est le mêlé et le solitaire, le nombre et l'unique, la pâte et l'ingrédient.
     L'oeil s'attache et le cerveau peine à trier. Si l'oeil insiste le cerveau se rend, puis discerne, puis comprend et, par vengeance, fait que l'oeil quitte la beauté, par lui distinguée, avec un lourd effort.
     Il en est ainsi pour moi, dans un soleil d'avril 2012, à 11 heures, au dit Fronteira...
     Sujet : les petits Africains pêcheurs, dûment annotés et recommandés par mon ami retiré au Portugal. L'une des précieuses et rares représentations des "conquêtes " culturelles portugaises. (Car tout, dans la scène, évoque à l'évidence les terres lointaines, l'Ultramar Português, liées à la patrie, richesses et misères mêlées, Brésil, Cap-Vert, Royaume mandingue de Gabou ou île Saint-Thomas.)

 
 

 
     La joliesse précise de cet ensemble d'azulejos, qui me souffle toujours l'idée saugrenue que l'entier Palacio a été construit pour le seul amour de cet ensemble (et autour de lui) au départ d'un muret solitaire, m'amène quelques réflexions... matelotes.
     Et tout d'abord, foin de poésie, l'heure suggérée par cette besogne en mer : tôt le matin il me semble (la bonne heure pour le poisson), à en juger par la lumière matutinale et les premiers et savants attouchements du soleil sur les nuages embrumant encore le ciel. La journée s'annonce belle sur les eaux du labeur. la mer est calme, avec un clapot modéré, l'embarcation se maintient sans effort et ne laisse pas trace de sa charmante chorégraphie. Pas d'avirons visibles, sans doute disposés sous les bancs.
     La barque est remarquable. Construite à clins, une technique portée à sa perfection, avec variantes minces, tant chez les peuples du Nord que ceux du pourtour méditerranéen, elle fait songer avec ses formes girondes, ses proue et poupe accentuées, à la science et à l'esthétisme nautiques catalans, et aux petites barques bordelaises ou du Maghreb. Le renfort en proue marqué indique une capacité certaine à encaisser les attaques en boutoirs d'une mer turbulente. Mais il y faudrait une voile. Latine, à tout le moins. Aussi, notre barque d'azul n'est-elle peut-être qu'une annexe. J'en doute, cependant. J'en doute, non par piètre science, mais par plaisir d'imaginaire et jeu de situation. Car, sans appel, je me trouve à bord. J'en palpe les bois, j'en ausculte le fond, j'en tâte la tenue et le balancé, je note sur mon calepin d'esprit en quelle proportion la mer se soucie d'elle, et en quel bagage  notre barque se soucie de la mer. J'observe aussi mes voisins de poste.
     Ces trois-là, justement, sont inoubliables. Ils posent. Oui, vraiment, comme si quelque objectif d'alors leur faisait dire "cheese ! " de leurs merveilleux sourires africains. (Le regard du troisième à droite n'en est plus, suivant un instant le vol d'un oiseau de mer...)
     Bonnet Jaune (une coiffe que l'on voit sur certaines vieilles photos de l'histoire portugaise), plus grandi que les autres par perspective joyeusement naïve et toute relative, c'est le chef. Celui qui, sans doute décidera du retour à la grève, journée faite. Les chevelures de nos pêcheurs sont finement signalées dans leur crépu, avec bonhomie et grand respect. Leurs vêtements paraissent efficaces, de laine épaisse ou de gros bourrages de plume, bien confortables pour une frisquette matinée sur les eaux.
     L'infortunée tortue, quant à elle, appréhende sa fin, et le signifie par des pattes largement écartées (et que l'on imagine gigotantes), une queue désespérément dressée et une pauvre paupière s'apprêtant à recouvrir un oeil sans malice.
     En une grosse dizaines d'azulejos sur le nombre infini que compte le Palacio, les petits Africains du Fronteira ne présentent que grâce et Histoire...
                                                                                                                   François Mottier.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire