mercredi 12 décembre 2012

OKEANOS cinq poèmes brefs




LA BARQUE COURAGEUSE
 
Tu possèdes une barque robuste & courageuse
mais le courage d'une barque ne suffit pas à ta pêche
Assure-toi d'un vent compétent
bien apparié à la chair de tes voiles
Embauche-les disciplinées qu'elles sachent où elles vont
Propose à ton filet des rapiéçages solides
Barque vent voiles
voyagent ensemblent & t'ignorent
car toi tu es l'homme courageux
l'intrépide fou
point imperceptible à la surface de l'océan
indiscernable bientôt
maintenant disparu
 
 
 

GLACIS DE VAGUES
 
Il faut des motifs satisfaisants pour l'esprit
De ceux que l'on observe sur les dallages
& les argiles mystérieuses
Vortex labyrinthes bêtes en volvation
géomètries enfantines 
& des glacis de vagues
au long de salles royales
où se méprennent les échos

 
 
 
LA MARINE
 
Dernières volontés du peintre
lovées dans les crépuscules soufre de sa marine
Que les nuages ruissellent & s'éclairent
que les visages broyés de mer
les bouches chargées & crayeuses
étouffent une prière
dans le pourpre fauve des mâts rompus
& mordent les voiles lacérées
Mais déjà la tempête s'éloigne
le tableau indiffère
l'effet est raté


TRIBUT A RACHEL CARSON *

Les grèves
zones inquiètes
de tous temps
Bêtes inquiètes ciels inquiets hommes inquiets
Histoires premières de la terre
étranges & belles
Bris puissants des vagues
mêlés aux débris coquilliers
Premiers fracas
avec ceux des vents coléreux
limite du flot sans cesse changeant
jamais exactement identique d'un jour à l'autre
Robuste tu te dois
quelque soit ton espèce
nature double
essentielle à toi-même
& à la mer
Opiniatretés incroyables
de toi à elle
& d'elle à toi
pacte où tu posséderas ce jour un peu plus de sol
& demain
ce sera elle qui rira
de votre échiquier

* Rachel Carson (1907- 1964), biologiste et zoologiste américaine, militante pour la protection de l'environnement, poétesse et auteure des best-sellers cette Mer qui nous Entoure & Printemps Silencieux


OKEANOS

Fleuve entourant l'Univers
né des peaux immenses du ciel
& des replis du ventre de la terre
tu n'as ni bouche ni yeux ni source
ni caches ni mains
Tes enfants innombrables
tombant de chaque goutte d'offrande de ton père
me déclarent rosée à chaque jour nouveau
de ma vie d'homme
                                                                   Leleh Gialloantico.
 
 
 


samedi 22 septembre 2012

MAIN BASSE SUR LE BERCEAU - LA TRILOGIE DES CARREFOURS DE SOLITUDE

I
 

MAIN BASSE SUR LE BERCEAU

 
Chien d'entre les chiens avec ce petit rien
qui fait le malheur mon fils plus tard tu feras braqueur
Ce jour-là le Westinghouse était en rade c'était peut-être trop demander que de l'escalade
et ma Fée Bleue s'est essoufflée à l'heure de me présenter ses souhaits
Y'avait Maman Papa mes frères et mes soeurs et mes petits poings contre mon coeur
j'ai pas trop eu le courage de leur dire que c'était déjà de la rage
Dans ma corbeille de baptème on a jeté l'anathème
parole j'ai eu mon plein de dragées calibre 30/30 chemise blindée
Vos prophètes en cravate ont brouillé mon jeu de cartes
en moi il y a l'opéra de la loose avec le dénouement qui bouge
 
 
II
 
LES LARMES DU COYOTE
 
 
Un flic qui courbe le dos ça vous donne froid aux os
les larmes du coyote c'est pas bidon il y a le premier acte qui tourne pas rond
Toi et tes potes au coin du block en planque visent la caisse des keufs
Captain Yarab nous dit on se mouve je te jure encore un ciel rouge
encore une nuit Distinguo les petites soeurs font l'inventaire à Casino
le coyote bouge pas qu'on le braquerait la tête en bas
tu sais un flic qui chiale c'est comme un carjacking qui déraille
 

 
III
 
LE GRAND ESPRIT PEUT TOUT
 
 
C'est une légende auprès des hommes
C'est une légende dont se souvient plus personne
Le Grand Esprit peut tout
mais le bruit court que le Grand Esprit s'en fout
me suis laissé dire qu'il ne peut pas tout
peut pas goûter à tout entériner vos coups
peut pas blanchir vos langes rechapper vos anges
 
C'est une légende en deuil auprès des hommes
C'est une légende qui ne fait plus rire personne
Quelquefois le soir tu te sens l'âme rousse
clicking il y a les esprits qui se tordent dans les suburbs
et ta pauvre âme qui se vidange sur fond de bagnoles
Tes mots windsurfent tu aimerais en parler lui dire
qu'il ne faut pas grandir ici mais dire c'est déjà jeter un cri
et puis ça lui fait peur elle n'est plus là
Des fois tu te dis que tu te sens Indien
excuse tu en as un peu l'oeil
Mais quand les rues relèvent la tête
c'est comme une prière par-dessus la fête
 
Le Grand Esprit peut tout
mais on devine que le grand Esprit s'en fout
Ton ex-amour d'école et lui se montrent en duo
Paraît que leur first track est chaud
les strass de la détresse
c'est le plein jus dans le tiroir-caisse
Tu rabâches à qui veut mon petit poète
que les âmes et corps se sont vendus
quand elles ont juste estimé leur dû
                                                                       François Mottier.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


THE IOS PROCESSINGS



 
Interprétations privées
d'oeuvres grecques anciennes
d'après
diverses traductions françaises
et anglaises
 
Anacréon / Phocylide / Pindare / Xénophon / Théocrite
 et Maecius.
 
 
 
Nos filets se tendent,
Où passera le thon
Au seuil des eaux ?
 
                        Maecius.
 
 
 
Tes doigts, fais-en des laboureurs.
 
Tes paumes, qu'elles deviennent des matelots.
 
Tes jambes, qu'elles arpentent les pâtures.
 
                             Phocylide.
 
 
 
Pour mon ventre,
L'orge, le sucre,
Et une mesure de vin.
Pour mon repos,
La voix de la guitare
Et la belle auprès,
Toujours gardienne
Des rires, des danses et des chants.
 
                               Anacréon.
 
 
 
Êtres ? Des riens vivants !
Chacun est quoi - ou n'est ?
L'homme, un pêché de brume.
 
                             Pindare.
 
 
 
Chagrins, voici la coupe,
Vous n'êtes plus
Mes locataires déshonnêtes,
Mais jetés aux vents, là-bas.
 
                                           Anacréontiques.
 
 
 
Le manger à la huche,
A lui un gardien qui le guette.
Les nourrissons ont toit,
Aussi doit être un toit
Pour le pain, et la laine qui te vêt.
A l'épouse active
Les tâches du foyer,
L'époux solide
A les rudesses du champ.
 
                                   Xénophon.
 
 
 
Tes filets sont socs pour la mer.
Chair blanche qui se joue dans les vagues,
Saisis-t'en et sacrifie-la à Amphitritê.
Sans peine tes trémails s'alourdiront.
 
                                     Théocrite.
 
 
Mer sans rumeur,
Vents sans langue,
Mais mon chagrin, là,
Donne de la voile
A sa plainte.
 
                                       Théocrite.
                                                                                                  François Mottier &  Leleh Gialloantico.
 
 
 


mardi 11 septembre 2012

FRAGMENTS DE LA MER DES PHILISTINS




 
 
Voler, dis-tu ?
Echapper à cette boule
médiocre de terre ?
Dis-moi comment.
                                        RASAB de TYR.
 
 
 
 
 
Non, il n'est pas encore, celui qui me dira avoir vu ma fin.
                                                                  LAHOUPPE.
 
 
 
 
Et le vent qui te porte,
d'où vient-il ?
Des jardins des ciels.
                                    SIDYADE.
 
 
 
 
On peut franchir de deux façons ces montagnes :
en s'y portant à la façon de l'aigle,
ou en en rêvant, assis dans la poussière.
                                                                IBN KHALQOUB.
 
 
 
 
On atteint enfin, par cinq jours de marche à l'est, une route
brûlante que n'emprunte personne, et qui s'étire sur deux cent meiles de Hongrie.
                                             GEOGRAPHI KRESEMIRI minores.
 
 
 
 
Toucher aux puissantes étoiles demande une flèche puissante.
                                                                             LURCENNE.
 
 
 
 
Crois-tu aux murmures de la statue? Alors, tu es vivant.
                   HEHOU, prêtre égyptien, 1280 avant Jésus-Christ.
 
 
 
 
(...) l'ange montrait une cuirasse épaisse comme douze pierres du foyer, et ses ailes étaient de fer recouvert d'argent (...)
                                                           ACTA CYRILLI, VII, 9,11.
                       (trad. Emmanuella Praivost).
 
 
 
 
Ne m'éléverai-je pas jusqu'à Dieu,
si je recueille toutes mes forces ?
                                                                   NIKIFOR, (909-978).
 
 
 
 
(...) Il porte la sarisse et les marques de sa phalange (...)
                                                THERSYS de SARDES.
 
 
 
 
(...) contre le lupus des vieillards, il faut d'onguent de corail et de limaçons avec leurs coques (...)
ZOSIME de PYLOS, médecin grec, 464 avant Jésus-Christ.
 
 
 
 
Car il est dit que je m'éveillerai et regagnerai l'orbe de mon Père, dans les levers de Sa Lumière.
                             AGRAPHA ( paroles apocryphes du Christ)
          CODEX JUDAÏC,VIeme siècle.
 
 
 
 
(...) les liens le retenaient mais ne l'emprisonnaient point ; l'oubli le désignait mais ne le clouait point (...)
                                             Vision de MAGNAËL, Xeme siècle.
 
 
 
 
Il est l'ange au corps lourd,
de nos étonnements baignés...
Adeline SCHÖLTE-BAMBERG (1921-1944).
 
                                                                                         Leleh Gialloantico.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


dimanche 2 septembre 2012

BLEU DE MINUIT









Tais-toi
 
 
Crie
 
 
Les silences
Se plombent
 
 
Océans
De sous de plus profonds
Océans
 
 
*
 
 
 
Mer
 
 
Don de bleu
 
 
offert
  entre ses ciels
 [ et les nôtres]
 
 
   *


               
               
Etés
Idolâtres
 
 
Instruits
Déjà
 
 
De la prépondérance de pieuses neiges
 
 
*
 
 
Il est un vin dont je m'enivre,
tes libellés de jeunesse, lus à longs traits.
 
 
*
 
 
Être où personne ne t'attend,
le dernier fruit mûr à choir
dans le sel de l'automne.
 
 
*
 
 
Gagner
la foi
d'une naïveté nouvelle
qui t'appartienne
et nous appartienne,
murmures de l'étrave
que festonnent
les fêtes risibles
de voyages retrouvés.
 
 
*
 
 
Ce jour s'achève,
D'encre triste.
Après, il n'y aura guère.
Musiques agacées,
trognes portuaires, et toi - perdu,
tapi, fourbu de sarabandes.


*


Bleu de minuit
ton nom de lame,
tes yeux engloutis,
Ys fragile, mon amour,
forte comme Troie, mon amour.
                                                                       François Mottier.
 
           
 
 
                        


vendredi 24 août 2012

CE QU'IL ADVINT AU VOYAGEUR SUR L'ANCIENNE ROUTE DES FEMMES



                                                                 A Maïa, qui sait pourquoi.
 

 
Routes alexandrines
sous les contreforts de lunes frottées,
puits de silences blancs
 tout emplis de saumures encreuses,
bêtes de bât soudain s'ébrouant
 dans l'aurore brune des abricotiers,
griselis de fine lave
crissant à la chitine blème du scorpion,
pandours en troupe,
leurs beaux yeux d'hommes fardés prompts à trahir...
de ce qu'il advint au voyageur
 sur l'Ancienne Route des Femmes,
la petite cigarettière du café arabe,
 roulant de gros yeux affranchis,
au fer de ma bouche un index de fer s'est permis.
 
 
 
Nous avons vu vivre et partir nos enfants,
bonne femme ;
pour salaire le thé, le sel, le sarrasin,
l'oeuf chaud parfois,
 juste volé au nid de l'oie.
Notre brave cheval a son plaid
 et notre Ossip - frêle étourneau -
sa paille tiède, tout pareillement au bébé Jésus.
Moules à briques,
 mes pattes s'y sont usées
comme les griffes d'un vieux loup,
ces dogues de patrons Mongols
 ne paient point.
Suis-je cire molasse sous les doigts nerveux du pope ?
Suis-je ou pas homme ?
Allume une bougie,
 bonne femme,
que la flamme n'en vacille pas
 sous ton souffle débile;
sans murmure et sans rouscaillerie
 croche à mon échine nos hardes,
presse à ta mamelle mon fier petit brigand;
il m'en souvient à rire,
je te parlais de pistes brèves,
sur ma chausse porte ta chausse vivement,
vienne l'aube rose
 nous serons loin.
 
 
 
Toutes les balles de la vie ont porté
sous le gris de lin
 et les bruns de l'exil;
ils t'ont tout pris et en ta plus haute gloire
t'es-tu volé aussi à toi-même,
au plus mal de te suivre
 sur les abattures de chagrin.
Comme une très vieille mer fatiguée retirée
laisse ses fonds talqueux et craquants
 à l'indifférence des hommes,
Voyageur, les semelles des fuyards,
le cerclage des charrois, le piétinement des chevaux,
sur quelque piste Tatare
n'ont su préserver d'autre loi
que la nacre d'une image qui se défait en toi.
 
 
 
Tu as donc franchi la passe secrète, frère,
posant tes pas
au souvenir de tes pas.
C'était ici ville de maîtres-voleurs.
Batailles et honneur ? les braves que nous aimions
s'en sont allés bien vite
 rogner leurs braies avec les diables.
Mère et Père ? Parle bas.
Vois tes soeurs au sceau de leur peine.
Dans les plaisirs de la coupe
 le cerveau exulte,
la galette serait-elle brûlée
que nous en cuirions d'autres;
l'acide babeurre et la graisse de viande font
ample parure à tes doigts tremblants.
Dans ma maison n'y fût cédée jamais
 la dure terre battue,
prends cette peau frottée de sauge;
frère et allié endors-toi,
 les belles pucelles de Transoxiane
murmurent autour des gours,
les brigands offrent au couchant
 leurs camuses faces d'or.
 
 
 
Ta danse est fièvre aux hommes de la palmeraie,
Cruelle,
danse de nard et de myrrhe.
Vois : les guides pusillanimes demeurent
 dans la lumière des campements,
ils ne se sentent point en âpreté
et font seule confiance à leurs chameaux.
Ceux venus du fortin
 boivent en te guettant de l'orgeat glacé.
Ce sont des soldats de France,
hommes à visages de ponce,
invités à grands frais d'une marieuse.
Et les purs gardiens de ton enfance,
 frères, cousins, jeunes oncles,
dans le temps ancien t'eussent fouetté.
En cette heure ils dodelinent,
et présument le prix à venir du pêché.
 
 
 
Prenez deuil, hommes des hauts plateaux,
 hommes des puissantes passes,
découvreurs de violence,
 peuples jaunes des pistes,
badauds des foires de frontières,
 saltimbanques à momeries,
tendez vos cous crêpelés de dindon,
tournez vers nous vos regards pleurards,
nous cognerons à nos dents
 le souffle de vos vies;
Défiez-vous,
car en vérité nous sommes les vents
 régents de vos jours de cette terre.

Je suis Samiel, le vent-poison des solitudes,
qui m'aime je le rends fou,
l'anachorète qui à mes insanes confidences
 tend l'oreille, se perdra.
Et je suis la Neuvième Plaie d'Egypte, Khamsin,
le vent à face de chameau,
 mon ventre est de sable,
 mon haleine de tourbe,
ma haine de vos feux est sans âge.
Et je suis Bad-i-Sad,
 satrape secret de l'aube,
baise-moi à la bouche, enfant,
et t'en vas à la tombe.
Et je suis Karaburan, le boutefeu,
 je ferai des pleines beautés de vos femmes
de longues plaintes boucanées.
Et je suis Sukhovey,
 palimpseste des ciels,
fer de lance d'un faux prophète
au coeur de mes rages.
Et je suis Tebbad, le lazaret,
 ma lourde charge de langeur emporte les nuées
pour vous mieux étreindre.
Et je suis Tung Shang,
gras magistrat des portes de Cheng-Tou,
à l'orée des riches plaines de mer;
mes seins de nizeré masquent
 à grand-peine la pestilence de mes tours.

Hommes demi-morts,
dedans vos enveloppes impudentes,
nous avons loi sur vous
et écoutons passer dans les cris de vos âges,
nos cris insupportables parfois de petits dieux.



C'est là, dit l'Archer, odeur de mer.
Non pas, répondit l'audacieux Frère Servant,
 car loin encore est le Pays des Wa.
Sans doute, mais il n'est, dit l'Archer,
empyreume que je ne reconnaisse.
Voilà bien l'épice jaune cuite à un feu violent.
Point, point, répliqua l'insolent Frère Servant.
 C'est un diable de remugle que ces chiens bridés
 brûlent en leurs temples hérétiques.
Frère, vous m'en garderez, dit l'Archer,
 sous sceau de votre haute science,
 mais n'est-il pas présent à votre pantelence
 qu'il y ait en ces lieux fumet de franche frairie ?
Je n'y respire, bougonna l'autre,
que tripailles à peine lavées,
cuites dans un bouillon de bière aigre.
L'Archer se tut.
Par ma foi, grasseya le Frère Servant,
sentez-vous ce parfum de créatures,
il faut que ce soit ici
quelques personnes de peu...
Quant à moi, dit l'Archer,
devenu triste,
je n'y sens que jeunes filles,
cédées à l'âge des jeux tendres,
aux serres des graisseuses des barbons...
C'est assez dit, songea-t-il,
en encochant un trait.
L'implacable matras se ficha
à la vague montante
où le coeur se tient pour vrai.
Je reconnais, dit l'Archer
pleinement satisfait et s'éloignant,
la corruption de votre âme,
et le relent prochain
de votre corps en trépas.



Ce que je veux,
ce sont mes fils autour de moi.

Shahar, le Lion,
vent de sable noir
que les tribus attaquent au couteau,
fort et repu aux prunelles luisantes comme dattes,
traqueur de tarpans
aux pierriers de nos solitudes.

Nahir, le Tigre,
sous la yourte bien bouchonnée de feutre,
il rend ma justice violente.
Son oeil de naphte pourfend parjures et adultères
de son oeil poudré coule l'hier,
à son cou pend la meule où tu seras blé.

Timour, le Buffle,
orages ceignent son front bas,
d'humeur lente: ne cherche point à ses ombrages
car il pourrait t'en coûter.
D'aussi loin tend la gorge
aux fers des prêtresses, nul ne sait quand il en aura fini.


Ce que je veux,
ce sont mes filles autour de moi.

Manah, la Jarre,
hanches rondes d'argile, l'aînée,
à toi seront donnés
cent hommes propres à concevoir.
Promptement brûles-les à folie,
par tes serviteurs fais-les sangler
au rouge du soir.

Rana, la Dune,
géographe, discoureuse,
arpenteuse menue des terres d'en-deçà,
mathématicienne,
gausse des caravanes,
émus de tes beaux yeux malades,
des marchands syriens t'offrirent des loupes à nez.

Zolia, la Laine,
Tu meurs à chaque transhumance, fille musquée,
et je meurs un peu avec toi,
mes musiciens chantent ton absence
et je dispute, quand au bélier querelleur
tu romps l'échine.

Je dis :
Moi,
l'Ombre portée des Temps,
le Législateur, l'Herboriste,
le Potier, l'Amant,
Moi le Mille-Noms,
je ne possède rien en maître,
hormis le pur souffle de vie
qui m'embrase et me guérit.



Ecoutez, écoutez donc l'aïeul blanchi,
le Grand-Père des Mensonges, le Hâbleur des Steppes !
Le voilà tout prophète comme Mohammed à cette heure!
Prenez place, qui joue à joue,
et qui enserrant sa jeune soeur,
et qui crachant sans vergogne ses pépins,
écoutez, mes petits morveux,
voyez donc les rides frémir et le croc de son nez
renfler à minces coups dans le proche plaisir de l'avatar;
il jure, le vieux coquin, à toutes les vérités,
et la taie de son oeil brille, jade et perle,
plus étincelante que promesse de djinn...

"Une nuit, enfants, que je gisais transi sous le ventre de ma chamelle, ne pouvant trouver le sommeil, l'ange Gabriel me vint voir, rompit l'os plat de ma poitrine et me baigna le coeur à l'eau de Zemzem, afin qu'il n'y subsistât point l'ombre d'une ombre de pêché."

Bah ! Grand-Père, bah ! Cela est peu de choses en vérité,
car nos temps d'aujourd'hui voient chaque jour
des forges fendues et des muscles absous,
et les visites de Jibrîl
plus nombreuses encore que vos constipations !

"Jibrîl, vous dis-je, jeunes impies, me prit alors par la main et me mena à Al Burâq, la Céleste Bourrique à face de femme toute crémeuse de blancheur,
et aussi simplement, sacripants,
que je vous devine occupés à vos grimaces de singes,
nous bondîmes par-delà déserts et pierrailles
 jusqu'au mont Sinaï ! "

Comme cela a dû, Grand-Père,
déranger votre coiffe de soie
et porter l'ébranlement
à votre ultime parure de bouche !

" Riez, mes mauvais sujets !  Al Burâq,
la courageuse bête,
nous fit visiter Bethléem et nous transporta à Hébron où,
tel que vous m'entendez et me voyez ce soir
avec le moindre de mes poils,
je pus m'entretenir un brin
sur la fraîcheur du temps de montagne
en compagnie de l'esprit d'Abraham. "

C'est trop fort, oui, trop fort, vraiment,
sacriléger à nous autres enfants !

" Ma foi, je ne vous cacherai rien
et vous saurez jusqu'à plus soif !
Nous abandonnâmes à Jérusalem notre Eclair d'Argent,
et tout au long d'une échelle de soleil et de lune,
Gabriel et moi gagnâmes les soupentes du paradis.
Avec tout l'honneur que j'ai
de paraître devant vous et vos Saintes Mères et Tantes,
je vous affirme avoir joué aux boules avec Adam,
chassé le nuage de foudre avec les séraphins,
et soupé de paon à l'ail et de fruits bleus
avec notre Créateur en personne,
qui fort civilement m'accueillit..."

Il va contre la mort, contre le temps, le très vieil homme,
et chaque prodige saint, chaude broderie,
se pose sur l'âme des petits
qui joyeusement le huent,
et savent à gaver leurs frêles jours
de ce qu'un jour ils n'évoqueront plus.



Danserai-je encore dans le cercle de craie,
buvant avec mes soeurs notre léger vin de roses ?
L'été poussiéreux sent le musc et la poire,
et les cretons dont les hommes enduisent leurs bottes.
Levant haut les gonfalons, sabre au clair,
visages brûlés troublants, dangereux et rieurs
sous les moirages de leurs toques,
mes cousins s'en sont allés
dans l'ébrouement de leurs chevaux.

Garde m'est d'écouter les anciens !
Secs parcoureurs de gazettes, taisez-vous,
battez à vos nuques épaisses la porte des cafés.
Sentinelles des torpeurs digestives
vous cheminez, l'ongle tremblant,
au long des encres de malheur,
taillant à vos mesures haineuses
des arènes de haine dont vous serez absents.

Vains sont les regards que porte l'offerte
aux palissades du village.
La route y fait un coude, ô Christ,
et quels mondes tout-devant !
Vous souvient-il, mes beautés ?
Sont revenus chevaux de nos galants,
nous porterons le deuil de nos cent hommes fiers,
et franchirons l'embâcle de l'Amour
sur les montures de nos amants.



Voilà - c'est ainsi -
il n'y a rien à y redire.
L'enfant, son mince nez patricien
reniflant, enfoui dans les zibelines moelleuses,
ses yeux papillonnants sous l'amorce sablée
du parfum français de Mamikou
- Vol de Nuit, de Worth -
il ne songe;
les pleurs viendront en leur temps.

De la fenêtre du pullmann crépusculaire
il aperçoit des officiers aux lèvres blanches,
qui jouent leur bien aux cartes dans l'ombre des bouleaux,
des gares inconnues de bois gris luisant,
des pigeonniers, des arlequins de champs,
des corroyeuses raccompagnées au falot par leurs béjaunes.
Sous le dais sombre de l'été marine,
une fillette glisse une laisse de viorne
au cou de son jars perle.

L'enfant et ses errances, en aura-t-il conclu bientôt ?
Ce sera dans trois jours la pension des cadets,
la férule, Pétersbourg et les adieux.
Le train réservé taille la chair du jour finissant,
Mamikou chantonne bas;
à l'effilé de sa belle paupière sibérienne,
elle distingue au vent de la course,
dans une cour de ferme,
de vieux obusiers et leurs servants.



Je viens de la montagne des cairns,
 je viens des gorges des batailles,
et désire être esclave chez vous, Seigneur,
aux marches des deltas fertiles.

Nul ne vous a jamais vu, mon Maître,
hormis l'ablégat qui naguère en devint fou,
vous humerez à moi, animal de nuit,
haineuses de mes cris seront vos tâcheronnes.

Vos jardins de thé toucheront à mon âme,
je me dissimulerai gaiement à vous sous mon litham,
et ferai confidence aux récolteuses
dans l'ombre des mûriers.

Sans doute prendrai-je époux
que vous m'aurez apparié,
Seigneur, il vous le faut savoir,
à sa mort point ne pleurerai,
à votre envol ma vie deviendra feuille.



Une charnue et prodigieuse patrie,
funèbre torchère qui guette et brûle ses fanaux,
palpitante d'Asie au flanc de la baie,
serre sur son sein crasseux mon amour déchaux.
Il y a là dents laquées de noir des hautes-maquerelles,
lippes idolâtres des maritornes à pipes de cuivre,
déesses licencieuses aux cuisses empâtées de feuilles d'or,
pitances outrées déversées dans des gosiers fumants,
palets d'ivoire lancés par d'experts magots.
La jeune nuit tressaille aux ricanements sonores
des épouses en palanquin
à qui l'estaffier jette en pâture,
sur le pavé de bois des arrière-cours,
le vil commerce de gandins grêlés.
Tue ! Tue ! C'est l'heure des Triades,
les sociétés secrètes au fond de venelles pisseuses
se lancent à la face quelque ancienne foi jurée,
et des tapons de graisseux bank-notes.
Malheur à qui la tripe faut !
Malheur à qui ne présente le sceau de jade !
De toujours je te sais à l'arcane, enfant blessée,
de peur que tu ne fuies,
( à discrétion des hommes de famille),
ta taille que navre une châtelaine de bronze,
à la muraille assurée.
De par la ville lépreuse je chercherai ta voie,
des jonques cinabre aux moites établissements de bains,
et je viendrai à toi en des heures insolentes,
et je viendrai à toi en fier condamné,
et, nu, je porterai la flamme au coeur de ta cité.



...Car il y a ceux qui portent au poing leurs reflets
comme on porte en son coeur des hantises,
et ceux qui, lassés de leurs propres prodigieux voyages,
ont fixé en de mornes heures la Raison et ses prix.

A certaines brunes les pistes marchandes
s'affranchissent et se meurent,
et l'on voit se hâter de singulières cavalières en chumbas dévoyées,
on entend aux cols, dans les maçonneries des tumulus,
les coups de feu des drapeaux de prière
 et de poignantes scandes chuchotées.

Aux étapes de tes vies les gobeleteurs te déroberont ton peu,
garde-toi d'amulettes et de prières enchâssées,
tes jambes ne sont si roides que tu ne puisses avancer
vers ces bourgs de boue et de pierre,
où les voix des vieillards
t'offrent le secret de l'attente
par la bouche des bébés.



Passés les remparts bas de pierres franches,
voici l'ultime et féroce grève et les troupes asiates d'Alexandre.
Les vétérans en cuirasse jouent d'ennui aux dés l'orage à venir.
Une cavale agonise, insane, en pointe de plage.
Les officiers boivent sous les palmes figées et calcines
du vin lourd et noir comme sang caillé,
dans les sandales de cuir
leurs orteils bruns ressemblent à des insectes gorgés.
Leurs yeux verts et mats de mouflon
tournés sans rêves vers un large
vomissent le trop long chemin.
Repartons vers l'Athènes, car ici femelles se montrent noiraudes
et leur haleine fait commerce avec celle des bêtes.
toutes conquètes avant nous se sont corrompues en ces lieux,
affirme le briscard Xophon,
et son mot chuchoté vole en épouvante de phalange en phalange,
et déjà les donne aux millénaire charnier.

Sous l'ardente tente de l'Homme de Guerre,
du Père de Tous, du Sage,
rien ne bouge.



Pour toi, des hommes d'honneur
ont balisé la route, graves,
écartant les mulets et les pélerins.
Ils ont acheté en amont la viande fraîche et le lait,
dressé à l'étape du soir les tentes de l'épouse et de ses soeurs,
surveillé la ténèbre coulant au long des défilés,
offrant en ton nom, ne querellant point, se gardant.

Aujourd'hui, il te faut les payer de leurs peines.
Mais toi, offusqué de leurs crasseuses paumes tendues
tu te récries et tu leur comptes,
dans l'angle du mur de boue sêchée,
(c'est mieux ainsi car l'ombre masque
la mauvaise suée de ton regard),
les piécettes de cuivre
et la promesse arrachée d'une pauvre lettre portée au pays.



Ces peuples, vois-tu,
sont d'étranges livres d'images
que nul enfant ne peut rapetasser.
Ils sont jadis venus à nous les mains pleines,
nos oreilles brûlaient durement à leurs jargons
et nos yeux riaient de leurs bonnes faces de cuivre et de terre.
Leurs femmes rondes aux pieds de foulons
présentaient des brassées de fraîche rhubarbe,
et leurs descendantes sages et murmurantes
préparaient nos morts et servaient à nos tables.

Il est vrai, mon Père; mais dans les fontes de leurs caravanes
chantaient tant de verstes que la tête m'en a tourné,
et qu'une nuit une belle voyageuse m'a montré
les sabots gainés de soie de son prudent mulet.

                                                                                               François Mottier.







 
 
 
 
 
 
 


jeudi 23 août 2012

LES MULETIERS - 7 poèmes




 
 
NAISSANCE DANS LA BOUCHE DE L'ETRANGERE
 
 
Tu fus en âge de te tordre.
Tu volas de petits ciseaux.
Ils étaient d'argent.
Ce fut le premier jour du rituel.
 
Tu coupas une plume au poussin.
Tu frottas les flancs de la jeune taure.
Tu lus les poèmes sur le visage du lépreux.
Ce fut le second jour du rituel.
 
Tu vins à la ville
Y chamarrer ta misère.
Les hommes naquirent dénaquirent
Dans ta bouche d'étrangère.
Ainsi le rituel fut consommé.
 

 
PROVENDE
 
 
Il y a.
Ou peut-être n'y a-t-il rien d'autre que le sac vide.
Des doigts creusant
le fantôme du froment.
Les lices de la faim.
L'impudence des os.
Les derniers mots noirs
dans les plis de la langue.

 

 
TALISMANIQUE
 
 
Après toutes ces années tu as compris
le jeu talismanique,
le fossile enfoui
au coeur de la paume dure.
 
Tu tends les bras
mais ta paume est vide,
et tu souris largement aux autres,
tes dents rouges du suc rouge.
 
 

 
LES BÊTES DE SOMME
 
 
Les Dieux nous retiennent, une
main à notre épaule :
Bêtes de somme, buvez avec nous !
S'avance le mesureur
de cotyles ;
le commerce de cet homme veut
qu'il porte
à un lien ses gobelets,
lesquels il loue aux buveuses attentives
à leur soif,
 mais soucieuses de leur équipage.
On l'accueille
avec transport ; l'Oubli coule.
Voilà un métier !
Eh bien, mesureur, qui a bu
à tes mesures, ces temps derniers ?
Les vifs, bêtes de somme,
car les morts se sont achetés une conduite.
Les Dieux rient.
Nous rions - ah, farceur de mesureur !
Le jour s'allonge.
Il nous faut reprendre le labeur -
simulacres de femmes à chacun de nos pas,
fussent-ils enragés.
Les Dieux - ils s'en sont allés.
Le vin de l'endormissement
nous pèse.
La peine de nos corps,
traités en mépris,
fait nos ombres tortues
dans les heures trébuchantes.
 
 
 
LA CROISIERE
 
 
Tu crois voir une mer ici,
ce n'est qu'une vague de vin,
une houle de sang.
 
Vendange sûrie,
sang poivré,
voilà ta croisière.
 
 
 
LES FABLES DE LA VIANDE
 
 
Nourrir la légende collective, la marche
de damnation &
le jugement des morts - couronner le malheur
sociologique et historié, créer les bruits de la guerre
& les fables de la viande ;
puis retourner aux ventres
de nos mères
& s'y planter comme des flèches.
 

 
LES MULETIERS
 
 
Suivant
    de l'âme les
crottins
luisants de nos années
nous parvenons au coeur de terre,
                               muletiers têtus guidant nos
joies
            assoupies à l'enclos vermoulu,
où fument les croupes
de liens relâchés.
                                                      François Mottier.